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Vous connaissez les meilleurs joueurs de l’ATP dans les longues batailles à fond de terrain. Tout comme vous connaissez sûrement ceux qui excellent au filet. Mais si vous connaissez peu les artistes au style service-volée, vous avez une bonne excuse. C’est parce qu’ils n’existent pas. Ou presque.
En fait, il y en a un seul : Maxime Cressy.
Cet art, jadis pratiqué par plusieurs, est maintenant une denrée rare dans le menu annuel des manieurs de raquettes. Le service-volé, ce n’est pas compliqué. Et c’est très bref. Puisque le serveur s’amène au filet dès qu’il a mis la balle en jeu afin de conclure à la volée.
Arme à deux tranchants, elle blesse plus souvent son auteur que ceux à qui le coup est destiné.
Un service bien placé déplacera l’adversaire qui, déjà concentré à retourner adéquatement la balle, ne vous verra peut-être pas, du coin de l’œil, monter au filet. Dans le cas contraire, des as relanceurs à la Djokovic vous découperont en rondelles.
Mais, avant d’aller plus loin, permettez-moi un petit retour en arrière.
COURT ESSAI PAR FÉLIX
C’était le matin du 17 février et je regardais Félix Auger Aliassime tenter de poursuivre la défense de son premier titre sur la surface intérieure de Rotterdam, aux Pays-Bas.
Était-ce une hallucination ? Ou bien FAA avait-il endossé un nouveau costume ?
Toujours est-il que notre compatriote avait adopté ce service-volée pas moins de cinq fois à ses deux premières présences au service. Cinq fois sur une dizaine de services effectués en ce début de match, ça ne lui ressemblait pas du tout.
Et, comme le faisaient remarquer les commentateurs, cette surprenante tactique d’un joueur habitué aux échanges en fond de court était tout à fait appropriée, car son adversaire, un certain Daniil Medvedev, était reconnu pour attendre les services rivaux tout au fond de la surface de jeu (lire ici : quasiment installé dans la troisième rangée des gradins).
Cette tactique permettait à Félix de servir en angle et d’être presque rendu au filet au moment où la balle du Russe revenait et ainsi profiter 1) de l’effet de surprise et 2) de diminuer les angles de retour.
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Et ça fonctionnait admirablement.
Mais Medvedev étant Medvedev, quelques retours d’une précision chirurgicale ont mystifié le Québécois qui s’est probablement mis à douter et qui a tout à coup raté de bonnes occasions dans les incursions suivantes. C’en était fait de sa tentative de défendre son titre avec succès, à Rotterdam. Il a perdu sa belle confiance du début et s’est fait montrer la direction du vestiaire en 1 h 23 min (6-2, 6-4).
Et pourtant, Auger-Aliassime est bon à la volée. Il connaît d’excellents résultats lorsqu’il s’amène à mi-court ou au filet. Peut-être aurait-il pu triompher s’il avait maintenu une telle tactique contre son rival… à la condition de compter sur son service des beaux jours.
LE CAS CRESSY
En regardant Félix, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler ce match du Québécois perdu l’été dernier sur le gazon de Wimbledon face au nouveau porte-étendard du service-volée, l’Américain Maxime Cressy. Au terme d’une exécution impeccable de son art, Cressy avait éliminé Félix en quatre manches de 6-7(5), 6-4, 7-6(9) et 7-6(5), victoire agrémentée de 28 as.
Depuis, je n’ai cessé de surveiller ce Français d’origine, jouant sous drapeau américain depuis qu’il a quitté son pays natal parce que sa fédération lui déconseillait fortement d’appliquer sa stratégie favorite.
Quand Novak Djokovic l’a éliminé au deuxième tour du tournoi en salle de Paris, le 1er novembre dernier (7-6[1], 6-4), le Serbe a commenté le style de jeu du joueur de 6 pi 7 po.
Un style… ancien, selon le Djoker.
« Ça prend du courage pour jouer de cette manière, qui est presque l’ancienne manière. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui font ça. Il est probablement le seul dans le groupe de tête », mentionnait Djokovic avec un certain sourire dans une entrevue au site Web de l’ATP. Ça change notre perspective parce que non seulement devez-vous retourner le service, mais il faut envoyer la balle dans ses pieds, ce qui est très difficile à faire. »
Mais le Serbe l’a fort bien fait comme le démontre le résumé de cette confrontation.
Et Djokovic d’ajouter : « C’est bien de voir quelqu’un qui monte après le premier et le deuxième service. Ça donne une nouvelle perspective aux amateurs de tennis. J’apprécie ça. Je respecte ça. »
Pour l’instant, Cressy n’est qu’une curiosité. Et peut-être le demeurera-t-il. Mais ce qui intéresse l’amateur de tennis, c’est de regarder aller cet original et son style spectaculaire avec cette arme à double tranchant.
Car pour chaque match où il accumule les as avec son puissant service, sa récolte de doubles fautes est moins glorieuse. En 2022, il claquait en moyenne 13 as par match, mais commettait aussi huit doubles fautes.
Qui plus est, ses nombreuses incursions au filet finissent souvent par avoir raison de lui, car beaucoup d’adversaires en viennent à trouver la solution. Après avoir percé le Top 100 il y a un peu plus d’un an, il alterne entre les 45e et 35e places depuis le 26 juin dernier.
L’OPINION DE FRANK DANCEVIC
Un ex-joueur canadien de l’ATP était reconnu pour pratiquer la tactique du service-volée. Nul autre que l’actuel capitaine de l’équipe canadienne de la Coupe Davis, Frank Dancevic.
Ce qu’il m’a confirmé lorsque j’ai voulu avoir son opinion sur le sujet. « Oui, j’étais un joueur de type service-volée. Je ne montais pas sur chaque service, mais je le faisais pas mal souvent. Je montais au filet 70 pour cent, parfois 80 pour cent du temps. »
Je lui ai demandé si un ou plusieurs joueurs pouvaient ramener ce style à la mode. Il doute que cela puisse être possible.
« Le jeu a beaucoup changé au cours des 15 dernières années. Même moi, j’ai modifié mon style pour jouer un peu plus souvent en fond de terrain. Il faut dire qu’ils ont tellement “ralenti” les surfaces qu’il vaut mieux être plus solide sur la ligne de fond qu’au filet, comme avant. Parce qu’avant, les terrains étaient plus rapides alors la balle glissait plus et c’était plus difficile de retourner, etc. Les gars ont plus de temps pour préparer leur réplique et placer la balle. »
Selon Dancevic, on a normalisé la vitesse de tous les terrains. Même ceux de terre battue, qui sont plus rapides, tout comme les courts en gazon qui, eux, sont un peu plus lents. Et les joueurs ont en quelque sorte mis de côté leur jeu de volée. « Le tennis moderne, c’est de l’agressivité sur la ligne de fond, mais aussi la capacité de saisir vos occasions… savoir quand aller conclure les points au filet. »
Mais il lui semble très difficile, de nos jours, de baser son jeu sur la volée uniquement. D’ailleurs, il rappelle qu’à part le Français Pierre-Hugues Herbert, il n’y a pas beaucoup de joueurs qui ont réussi à grimper en utilisant cette tactique.
Même à son époque, Dancevic n’a pas vu beaucoup de joueurs baser leur jeu sur le service-volée, sauf peut-être le Français Michael Llodra ou le Britannique Tim Henman, l’Australien Pat Rafter et, bien sûr, l’Américain Pete Sampras, 14 fois champion en tournois du Grand Chelem.
« Mais qui sait, songe-t-il en concluant l’entrevue, si quelqu’un devient assez bon à ce jeu, nous pourrions voir émerger un champion. Mais il n’y en aura pas beaucoup. »
Courriel : privard@tenniscanada.com
Twitter : @paul6rivard
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